Y-A-T’IL UN PILOTE DANS L’AVION ?

Nicolas JouhetÊTRE ET AGIR

« Christianisme, Fordisme, Libéralisme, Communisme, Hédonisme, etc…  Qu’elles soient religieuse, économique ou politique, une idéologie succède à une autre, au service d’un entêtement collectif qui entretient chez le plus grand nombre l’obligation de l’accomplissement individuel. De nos jours, les hommes construisent plus de sièges sociaux que de cathédrales. L’anglais a définitivement remplacé le latin et la doctrine dominante dans ces « sacro-saint sièges » serait à en croire des études sérieuses : le « Workism ». L’entreprise est le nouveau temple censé apporter du bonheur… Ainsi va le monde. Bref ! 75 % des actifs sont convaincus que leur employeur est le premier vecteur de changement personnel, et 53 % disent que les entreprises sont les mieux placées pour améliorer la société. Logique donc qu’une cause qui devient tendance, emprunte à l’anglicisme, s’affuble du suffixe « isme » et aspire à devenir dogme ! Il y aura toujours des hommes pour y croire.

Dans le monde Anglo-Saxon, Workism traduit l’idée de travailler dur pour gagner !

Le succès ! « Nouvel opium » de masse ? Éphémère promesse de plaisir ou ultime salut de l’âme. Un néologisme pour flirter avec la plénitude ? Ca peut surprendre…

Et pourtant pendant un temps, Workism fut la vérité de Xavier. Un barbarisme du mot pour décrire les maux que l’homme a su s’imposer !

Promis à un bel avenir chez Renault puis BNP Paribas, après des études de premier de la classe en école d’ingénieur et à HEC, il est reconnu et régulièrement promu. Il rassure. Il assure. On aime lui confier les sujets complexes et les taches ardues. Côté pile, son égo gonfle, côté face, sa charge mentale aussi. Il ne le réalise pas tout de suite ! Mais il glisse lentement vers des comportements qui ne lui ressemblent pas : moins d’écoute, agacement face à la contradiction, dureté excessive… au bureau comme à la maison.

D’ailleurs, y-a-t-il encore une différence ? Même en compagnie de sa femme et de ses filles, Xavier pense travail et répond à ses mails pros.

Par chance, son corps – le truc qui jusqu’alors servait surtout à transporter sa tête – le rappelle à l’ordre : il souffre de troubles du sommeil.

Peut-être le stress, dit son médecin ?  Xavier trouve ça idiot : le stress c’est bon pour les autres… Il consulte tous les spécialistes de la place afin de passer en revue les autres causes possibles.

En vain. Il doit se rendre à l’évidence : il est bien stressé.

« Ce qui ressemble au hasard souvent est un rendez-vous » rappelle Francis Cabrel dans une magnifique chanson*. Il tombe à la FNAC sur le livre « méditer pour ne plus stresser » dont les premières pages évoquent une personne victime de troubles du sommeil.

En bon ingénieur, il est séduit par la démonstration scientifique : on peut en méditant réduire son stress et ses effets délétères. On peut, plutôt que changer de contexte, changer son rapport à ce contexte. Il commence à pratiquer la mindfulness un peu chaque jour.

Son sommeil s’améliore… mais aussi, et ça le surprend, sa capacité de concentration, son discernement, son rapport aux autres, son écoute. Il vit moins de conflits. Plus présent à lui et aux signes que lui envoie son corps, il est capable de sentir l’agacement arriver, de le gérer. Ce changement de comportement est notable. Un collègue qu’il côtoie depuis toujours le surprend : « tu es bizarre en ce moment… normalement t’es un connard, non ? ».

A l’époque, la méditation n’est pas tendance en France.

Dans un premier temps, il est un pratiquant honteux.

Il réalise toutefois que nombre de ses collègues, particulièrement dans cette période de profonde transformation, souffrent. Il commence à leur parler de mindfulness et comprend qu’il y a « quelque chose à faire ». Que l’on peut, comme le disait Pierre Dac « penser le changement plutôt que changer le pansement ».

Il participe à un concours d’intrapreneuriat. Son idée de promouvoir la mindfulness au sein de BNP Paribas est retenue. Il bénéficie d’un programme d’accompagnement, se forme et crée son activité d’instructeur en méditation au sein de la banque. Il se heurte parfois à l’incompréhension, voire à la suspicion. Mais il finit par trouver une audience attentive et nombreuse. S’il a trouvé sa voie, il refuse d’abandonner ses pairs en chemin. Aujourd’hui il est « slasher ». Et combine son métier au sein de la banque, et son activité d’instructeur de mindfulness pour son entreprise et pour d’autres.

« Epanouissementisme ? Bonheurautravailisme ? Quêtedesensisme ? » Certains « concepts valise » pour les uns deviennent des enjeux pour les autres. Ils leur permettent d’être plus à l’écoute, de dessiner des « isthmes » entre semblables pour trouver des solutions plus intelligentes.

Parce que donner du sens est une notion polysémique propre à chacun ! Pas besoin de suffixe ni de suffisance ! D’entretenir la « valeur du moi »pour rester curieux des autres… naît la confiance. Merci Xavier.

*Mademoiselle L’aventure