LETTRE D’UN POILU…À SES AMIS, SES PARENTS, SES CLIENTS, SES PARTENAIRES.

Nicolas JouhetÊTRE ET AGIR

Comment allez-vous ? Comment vous sentez-vous ?
Ici, sur le front de mon confinement, dans les tranchées de ma bibliothèque, il m’a été autorisé de retrouver Louis Aragon. Sur les cendres brûlantes de sa Guerre, la Grande, il m’a questionné :

« Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus… »

Parce qu’un cœur éclairé est à jamais un phare, un siècle plus tard, au fond, une ombre demeure.
Et demain ?

Il y a 3 semaines, face à l’absence subite et subie de Vous, guidé par le talent de Barbara, j’écrivais que ma plus belle histoire c’était Vous ! Et pour certains depuis plus de 30 ans. Lors, je n’ai pas osé écrire : ma plus belle histoire « d’Amour » c’est vous. Vous laissant le soin de le déduire ! Etait-ce honte d’aimer ce que je fais ou avec qui je le partage professionnellement ? Écho pudique d’un autre temps, celui des évidences ? Ou peut-être était-ce la peur ? De se retrouver seul face à soi-même. Quand on aide son prochain à apprivoiser celle du regard des autres… Quel paradoxe me direz-vous !

L’effet placebo des écrans du virtuel, tous les conseils pour s’occuper, l’espoir de porter des masques prophylactiques pour vous revoir au plus vite, tout ça n’évite pas la bousculade des questions intimes et Ô combien réelles ! Qui suis-je ? Que fais-je ? Est-ce que ça fait sens ? Changer ?

Comme si tout ce temps j’avais pu me cacher derrière d’autres masques ? Ceux de mes fausses excuses. Comme si le monde avait été un peu lâche de faire semblant de ne pas les voir. L’époque interroge notre rapport au «pouvoir». Sur soi ! Sur les autres ! Ça résonne ?

Et si tous ces questionnements étaient autant d’heureux évènements ? Un voyage intra-sidéral à proximité de nos trous noirs dont les champs gravitationnels jouent avec nos maux et relativisent notre expérience : N’ai-je pas été jusqu’ici qu’un con fini ? Me suis-je réellement comporté avec exemplarité ? N’ai-je pas trop abusé de ma légitimité ? Je ne sais pas. Serai-je encore crédible demain ?

Et ça raisonne ! Quelle chance d’avoir depuis toujours un cerveau confiné dans une boite incompressible. C’est lui qui nous dit que c’est peut être le moment de libérer un peu d’espace. Reprogrammer le logiciel. Quelle liberté que de penser, s’exprimer et partager. L’auto-exploration n’est pas longtemps torture… D’autres révélations s’immiscent : Qu’est-ce qu’il me presse de devenir ? Qu’est-ce qui m’aspire ? Qu’est-ce qui m’inspire ? Et libèrent le pouvoir de penser différemment. Se penser aussi sous un nouvel angle. Questionner sa raison d’être, c’est préparer sa façon d’agir… d’interagir. Peut être avec plus de cœur.
Oser demain laisser résonner une voix qui ne se replie pas sur elle-même. Raisonner avec une parole moins auto-centrée. Se risquer à assumer sa vulnérabilité. Tenter l’élégance d’aider les autres à se sentir à l’aise avec moi. Savoir ne pas tout savoir, ni tout de suite. Ne pas prescrire en réactionnaire.
Collectivement emprunter une voie éclairée, suivre des stratégies plus durables et engageantes. Designer des outils et des actions plus simples et pragmatiques. Humaniser les futurs rendez-vous, les réunions, les appels d’offres. Les accorder chaque fois comme une première rencontre.

Par avance merci à ceux qui spontanément trouveront « ridicule » de penser ainsi, voire dangereux ! Ils ont raison. Ce n’est pas révolutionnaire de constater que c’est au cœur des catastrophes que l’Humain apprend à aimer… Ce qui l’est, c’est d’accepter de se déshabiller encore, de s’entraîner à s’ouvrir aux autres intelligemment et les aider à avoir confiance en eux. Aragon nous y invite au dernier matin de son « roman inachevé », certainement par respect pour celles et ceux qui nous quittent :

« Égrenez le fruit de la grenade mûre
Égrenez ce cœur à la fin calmé de toutes ses plaintes
Il n’en restera qu’un nom sur le mur
Et sous le portrait de la bien aimée, mes paroles peintes »

Bien à vous.

A bientôt de vous revoir en pleine forme, et bons baisers de chez moi.